A la fin des
années 1930, au moment où s’aiguise sa conscience
politique et se précise sa formation intellectuelle, Guillevic
choisit d’entrer en poésie : en une dizaine de textes courts
dont la rédaction s’étendit de 1935 à 1943,
il se sépare de la prose et prend le parti définitif
du vers.
Le recueil Proses ou Boire dans le secret des grottes
réunit pour la première fois l’intégralité
de ces textes, pour la plupart demeurés inédits. Il
nous offre ainsi la découverte de ce moment fondateur, intime
creuset où résonnent les échos d’une prose
que l’écriture poétique métamorphose.
|
« Vous voyez….
elle est toute parcourue de frissons, elle est toute possédée
de l’humidité et du rythme. Elle est comme les arbres des
forêts le soir, en été. Elle s’est quittée.
Demain, il y aura partout sur l’herbe, les maisons, les chemins,
les feuilles, les tas d’ordures, une rosée fraîche
– de toute la plénitude de sa joie, de l’immense étendue
de son amour (...)
Dormez, accouplez-vous, pénétrez-vous, humectez-vous.
Pendant ce temps, le ventre de la nuit travaillera pour vous ardemment
– son humidité sanctifiera vos pauvres gestes incomplets
à l’ombre de sa volupté, vous entendrez peu à
peu naître le mouvement qui fera éclater la prison.
Dormez, la nuit travaille, la nuit geint, la nuit aime. Que vous
importe que ce ne soit pas vous, si elle élabore votre destin
– la nuit depuis des milliards d’années qui se donne au jour,
la nuit qui finira bien par libérer la matière. »
Extrait de La Nuit.
|